Une activité moins rapide tributaire des États-Unis
En 2023, la croissance s’est accélérée, soutenue par la consommation et l’investissement privés, dans le sillage de la conjoncture américaine et de l’envolée concomitante des remises des expatriés. La croissance devrait être moindre en 2024. La consommation privée restera un moteur, mais son expansion rapide observée en 2023 sera freinée par le ralentissement des envois de fonds (13,3 % en glissement annuel en février 2024), quasi-intégralement en provenance des États-Unis (90 % du total en 2023). De plus, l’inflation restera élevée, bien que conservant sa trajectoire descendante grâce à la diminution des pressions extérieures. Elle se maintiendra au-dessus de la fourchette cible de 2 % à 4 % de la Banque centrale du Nicaragua (BCN). Conjuguée à une hausse du chômage, qui a atteint 3,5% de la population active en 2023, cela érodera le revenu disponible des ménages. La politique monétaire restrictive de la BCN, avec un taux directeur maintenu à 7,0 % depuis décembre 2022, freinera l’investissement. La rigueur budgétaire de l’État limitera la contribution du secteur public. Le sous-investissement devrait également s’aggraver en raison de la prudence des investisseurs privés et de l'achèvement de projets financés par des organisations multilatérales. En effet, les sanctions américaines sur les exportations, initiées en octobre 2022, avec des restrictions sur le sucre et des mesures à l’encontre des responsables locaux et de l'exploitation aurifère, devraient persister, incitant aussi certaines sociétés minières canadiennes à réduire leur présence.
Les exportations conserveront leur trajectoire de 2023, marquée par une baisse de la demande extérieure, particulièrement dans le textile, les secteurs de l'élevage, la pêche et l’aquaculture. Les pressions exercées par les Etats-Unis et la forte dépendance commerciale vis-à-vis de ceux-ci (52 % des exportations et 27 % des importations en 2022), poussent le pays à se tourner vers la Chine (0,5 % des exportations totales et 12 % des importations totales en 2022). Ce rapprochement pourrait induire une augmentation de la demande extérieure. Toutefois, il ne réduira pas rapidement la forte dépendance du Nicaragua à l'égard des investissements, du commerce et des envois de fonds américains.
Rigueur économique face à une éventuelle adversité extérieure
En 2023, l’augmentation des envois de fonds des expatriés, représentant 28 % du PIB, conjuguée à la baisse des coûts d'importation pour le pétrole et les engrais, a permis un retour à un excédent du compte courant. Celui-ci diminuera en 2024 en raison de la modération des envois de fonds et des exportations. Bien que le pays enregistre un déficit commercial important (14,9 % du PIB en 2023), la récente entrée en vigueur de l'accord commercial avec la Chine ouvrira de nouvelles opportunités. À ce titre, la plupart des produits d'exportation bénéficieront de droits de douane presque nuls. Par ailleurs, ce déficit commercial restera plus que compensé par les recettes touristiques (4,6 % en 2023 et 4,8 % du PIB projeté pour 2024) et les envois de fonds. Malgré un tassement des IDE entrants (estimés à 6,4 % du PIB en 2024) et des prêts extérieurs, ceux-ci soutiendront la position extérieure du pays. Cependant, bien que sa balance courante ne soit pas préoccupante, le Nicaragua pourrait, néanmoins, rencontrer des difficultés à couvrir son important besoin de financement extérieur. Les organisations multilatérales pourraient réduire leurs décaissements liés à la dette, et certains investisseurs étrangers, notamment aux États-Unis, pourraient diminuer leur exposition au pays. Toutefois, les prêts et investissements chinois offriraient un soutien certain. Dans cette perspective, les réserves de la BCN (l’équivalent de 6 mois d’importations fin octobre 2023, maquilas exclues), assureront l’ancrage du cordoba à l’USD. Le maintien de la rigueur monétaire et budgétaire est important à cet égard.
En 2023, la politique budgétaire est restée prudente, marquée par une légère augmentation des recettes et un contrôle des dépenses publiques. En 2024, cette politique se poursuivra et le déficit public se réduira légèrement. Le budget appuie sur les objectifs de réduction de la dette publique et de renforcement de la viabilité budgétaire. La consolidation reposera sur une réduction des investissements publics et des ajustements des dépenses courantes. Par ailleurs, le solde du SPNF demeurera affecté par les faiblesses des finances des entreprises publiques et du système de sécurité sociale. Néanmoins, la politique budgétaire continuera de favoriser l'accumulation de réserves. Cela réduira la dépendance de l'État envers les institutions multilatérales, important dans le contexte des sanctions. Le stock de dette publique diminuera progressivement, bien que la charge de la dette publique augmente en raison d'un calendrier de remboursement plus onéreux et d'un accès limité aux financements extérieurs. L'endettement, principalement extérieur (environ 80 % du stock de dette publique), devrait rester majoritairement concessionnel, avec 86 % des déboursements – risquant d’être de plus en plus limités - provenant d'organismes multilatéraux en 2022, dont 24 % de l’encours de la dette extérieure dû à la CABEI en 2022.
Entre répression politique et isolement diplomatique
Daniel Ortega et sa femme Rosario Murillo ont été réélus en tant que président et vice-présidente en novembre 2021, avec 75 % des voix selon les autorités. Ils occupent ces postes, respectivement, depuis 2007 (avec un premier mandat entre 1985 et 1990 pour D. Ortega) et 2017. Leur parti, le Frente Sandinista de Liberación Nacional (FSLN – les sandinistes), détient 75 des 92 sièges de l’Assemblée nationale. Les prochaines élections sont prévues pour 2026. Bien que l'opposition au gouvernement soit importante, il est improbable que les Ortega perdent le pouvoir. Le principal parti d’opposition, le Partido Liberal Constitucionalista (PLC) est coopté par le FSLN et détient 10 sièges. Prêt à utiliser la force brutale pour contrecarrer les manifestations antigouvernementales, le régime a montré une faiblesse. Bien que le Nicaragua ne subisse pas de violence liée aux gangs comme nombre de ses voisins, le pays a connu une grave crise en 2018-19 entraînant plus de 300 morts et 2000 blessés, après une tentative de réforme du système de retraite, entraînant des manifestations violentes et perturbant l'économie. La société civile continue d'exiger des réformes pro-démocratiques, entraînant des tensions sociopolitiques, malgré l'arrêt des manifestations.
Cette situation a entraîné une augmentation de la migration vers l'extérieur, notamment les États-Unis et le Costa Rica, exacerbée par un sous-investissement chronique dans les infrastructures, notamment sociales. Cette migration est également due à l’expulsion délibérée par le gouvernement des opposants au régime. L'érosion de la démocratie a conduit à des sanctions européennes (depuis octobre 2019, prolongées au moins jusqu’à octobre 2024) et américaines. En 2021, le RENACER Act a notamment imposé des sanctions américaines contre des hauts responsables nicaraguayens pour atteinte aux droits de l’homme, corruption et malversation électorale. Cette loi permet également une possible exclusion du Nicaragua du CAFTA-DR, de nouvelles sanctions et des suspensions de prêts multilatéraux. Plus récemment, en mars 2024, les États-Unis ont imposé des restrictions aux exportations d'armes vers le Nicaragua, mais la fourniture d’armes est surtout attribuée à la Russie. Cette proximité avec la Russie s'est également illustrée par la signature, en 2023, d'un décret autorisant celle-ci à déployer des troupes et à établir des bases militaires dans le pays. En mai 2024, les États-Unis ont aussi imposé des restrictions de visa à plus de 250 membres du gouvernement et sanctionné trois entités nicaraguayennes en réponse à la répression et à la contrebande de migrants. Le Nicaragua devient également de plus en plus attrayant pour les migrants d'Afrique de l'Ouest, comme, récemment, les Sénégalais, en quête d’une voie clandestine vers les États-Unis. L’émigration pourrait s’intensifier, si les États-Unis renforçaient leurs sanctions, notamment en matière économique et commerciale. Aussi, la pression exercée par les États-Unis devrait rester limitée.
Sur le plan extérieur, l’administration Ortega a renforcé ses liens avec la Chine depuis 2021. Parallèlement, le Nicaragua cherche à renforcer ses alliances avec d’autres pays idéologiquement opposés aux États-Unis, tels que la Russie, l’Iran, Cuba et le Venezuela.